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31 octobre 2005

Cent thalers

Être n'est évidemment pas un prédicat réel, c'est-à-dire un concept de quoi que ce soit qui puisse s'ajouter au concept d'une chose. Il est uniquement la position d'une chose ou de certaines déterminations en soi. Dans l'usage logique, il n'est que la copule d'un jugement. La proposition : Dieu est omnipotent contient deux concepts qui ont leurs objets : Dieu est omnipotence ; le petit mot : est n'est pas encore un prédicat de plus, mais seulement ce qui met le prédicat en relation avec le sujet. Or si je prends le sujet (Dieu) avec tous ses prédicats ensemble (auxquels l'omnipotence appartient également) et que je dise : Dieu est, ou : il est un Dieu, je ne pose aucun prédicat nouveau du concept de Dieu, mais seulement le sujet en lui-même avec tous ses prédicats et, il est vrai, l'objet se rapportant à mon concept.
Tous deux doivent contenir la même chose et, par conséquent, au concept qui n'exprime que la possibilité, rien, du fait que je pense l'objet comme absolument donné (par l'expression : il est), ne peut s'ajouter. Et ainsi le réel ne contient rien de plus que le simplement possible. Cent thalers réels ne contiennent pas la moindre chose de plus que cent thalers possibles. En effet, comme ceux-ci expriment le concept, mais ceux-là l'objet et sa position en lui-même, au cas où celui-ci contiendrait plus que celui-là, mon concept n'exprimerait plus l'objet tout entier et, par conséquent aussi, il n'en serait plus le concept conforme. Mais, pour mon état de fortune, cela fera plus avec cent thalers réels qu'avec leur simple concept (c'est-à-dire leur simple possibilité).
Car l'objet, dans la réalité, n'est pas seulement contenu analytiquement dans mon concept, mais il s'y ajoute synthétiquement à mon concept (qui est une détermination de mon état), sans que par cet être en dehors de mon concept, ces cent thalers pensés en soient eux-mêmes le moins du monde augmentés. Quand donc je pense une chose, quels et si nombreux que soient les prédicats au moyen desquels je veux la penser (même en la déterminant complètement), par cela seul que j'ajoute que cette chose existe, je n'ajoute rien à cette chose. Car autrement ce ne serait plus la même chose qui existerait mais quelque chose de plus que ce que j'ai pensé dans le concept, et je ne pourrais plus dire que c'est exactement l'objet de mon concept qui existe.

Emmanuel Kant in Critique de la raison pure, Dialectique transcendantale ch. III, 4e section

Pianoté par Anabates in Au fil des pages | Permalink

Commentaires

Steiner a écrit sur Goethe les pages les plus éclairantes qui soient, à mon sens.
Si le personnage est énigmatique, c’est qu’il invite à l’enquête !
Mais rassurez-vous : je ne songe à rien d’autre qu’à vous recommander du bout des doigts La Philosophie de la liberté, ce pur livre de philosophie (ou ce livre de pure philosophie, qu’importe), écrit par Steiner dans sa jeunesse et ouvrage à mon sens majeur dans l’économie de la pensée de la fin du XIXe et du début du XXe siècles. Je me souviens l’avoir lu sans prévention, alors que j’ignorais tout de son auteur. Ce fut un moment homérique : entre stupeur et enthousiasme ! Steiner, pas à pas, d’une manière qui n’est pas sans faire songer à la rigueur d’un Spinoza, la machinerie géométrique en moins, propose de penser la pensée avec une force d’élan qui laisse stupéfait.
Si je me permets de vous en parler, c’est que j’y ai spontanément songé en lisant les articles de votre blog, et particulièrement celui sur Kant et ses Thalers. D’avoir eu, quoi, le cran ?, le besoin ?, l’envie ?, de proposer à la lecture un extrait de la Critique de la raison pure, un extrait portant qui plus est sur la nature du concept, m’a réjoui, et m’a à nouveau fait songer à La Philosophie de la liberté. C’est tout ! Et voilà que vous proposez à présent les phrases fondatrices de la démarche scientifique moderne écrites par Galilée il y a près de 400 ans ! Décidément, votre blog m’épate.
Cordiales pensées.

Rédigé par : Philippe | 2 déc 2005 18:54:04

Approximatif peut-être, vif assurément ! J'en reste quasiment coi.
Pourquoi R. Steiner ? A cause de Goethe ? Personnage énigmatique, non ?

Rédigé par : Anabates | 1 déc 2005 15:33:23

Un écho fureteur aux cent Thalers réels et aux cent Thalers possibles de Kant.

La question qui, au fond, oriente nécessairement ce texte de Kant m’apparaît être la suivante : le concept préexiste-t-il au percept (à l’objet), ou ce dernier préexiste-t-il au concept ? Autrement dit : le concept de Thaler peut-il exister – ou plutôt être – sans que n’existe un Thaler réel – un objet « Thaler » ? Le « possible » du concept, tel que Kant le définit, ne serait-il pas un pouvoir A POSTERIORI ? Certes, en l’absence d’un Thaler réel, je peux penser le concept de Thaler qui semble ainsi prévaloir en potentiel sur l’existence d’un Thaler réel. Mais n’est-ce pas d’abord le Thaler réel qui a fait germer en moi le concept de Thaler ?

Qu’est-ce qu’un concept, sinon la possibilité que j’ai de DONNER SENS au réel. En l’absence d’un objet réel, comment pourrais-je a priori le penser puisqu’il n’existe pas, puisqu’il ne m’interroge pas sur son sens ?

Dès lors, la coïncidence du percept et du concept m’apparaît déterminée par le percept, et dire « quand je pense une chose, je n’ajoute rien à la chose » revient à dire un truisme.

Et encore : n’est-ce pas plutôt la chose qui, faisant naître en moi le concept qui lui correspond, ajoute en moi du sens ?
Le concept d’un objet et l’objet réel ne sont-ils pas une seule et même EXISTENCE qui se manifeste à moi simultanément de deux côtés, sous deux formes : par le percept, du côté de la réalité, comme objet, par le concept, du côté de la conscience, comme sens – cette existence affirmant ainsi à la fois son immanence ET sa transcendance ?

Vite écrit, sûrement approximatif, mais joie de pouvoir tisser ça et là le fil de vos pages.

Cordialement

PS. A propos, avez-vous lu La Philosophie de la liberté de Rudolf Steiner ? Compte tenu de ce que je lis sur votre blog, je crois que ne perdriez pas à y jeter un oeil.

Rédigé par : Philippe | 24 nov 2005 10:31:23

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