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26 mars 2006
A rebours
Dans une préface écrite vingt ans après la publication de son roman A rebours, l'auteur, J.-K. Huysmans revient sur les remous provoqués par cette parution et conclut ainsi :
Dans ce tohu-bohu, un seul écrivain vit clair, Barbey d'Aurevilly, qui ne me connaissait nullement, d'ailleurs. Dans un article du Constitutionnel portant la date du 28 juillet 1884, et qui a été recueilli dans son volume Le Roman Contemporain paru en 1902, il écrivit
Après un tel livre, il ne reste plus à l'auteur qu'à choisir entre la bouche d'un pistolet ou les pieds de la croix.
C'est fait.
De fait, J.-K. Huysmans terminait son roman ainsi :
Ah! fit-il, dire que tout cela n'est pas un rêve! dire que je vais rentrer dans la turpide et servile cohue du siècle! Il appelait à l'aide pour se cicatriser, les consolantes maximes de Schopenhauer;il se répétait le douloureux axiome de Pascal « L'âme ne voit rien qui ne l'afflige quand elle y pense mais les mots résonnaient, dans son esprit comme des sons privés de sens; sou ennui les désagrégeait, leur ôtait toute signification, toute vertu sédative, toute vigueur effective et douce.
Il s'apercevait enfin que les raisonnements du pessimisme étaient impuissants à le soulager, que l'impossible croyance en une vie future serait seule apaisante.
Un accès de rage balayait, ainsi qu'un ouragan, ses essais de résignation, ses tentatives d'indifférence. Il ne pouvait se le dissimuler, il n'y avait rien, plus rien, tout était par terre; les bourgeois bâfraient de même qu'à Clamart surleurs genoux, dans du papier, sous les ruines grandioses de l'Eglise qui étaient devenues un lieu de rendez-vous, un amas de décombres, souillées par d'inqualifiables quolibets et de scandaleuses gaudrioles. Est-ce que, pour montrer une bonne fois qu'il existait le terrible Dieu de la Genèse et le pâle Décloué du Golgotha n'allaient point ranimer les cataclysmes éteints, rallumer tes pluies de flammes qui consumèrent les cités jadis réprouvées et les villes mortes ? Est-ce que cette fange allait continuer â couler et à couvrir de sa pestilence ce vieux monde où ne poussaient plus que des semailles d'iniquités et des moissons d'opprobres?
La porte s'ouvrit brusquement ; dans le lointain, encadrés par le chambranle, des hommes coiffés d'un lampion, avec des joues rasées et une mouche sous la lèvre, parurent, maniant des caisses et charriant des meubles, puis la porte se referma sur le domestique qui emportait des paquets de livres.
Des Esseintes tomba, accablé, sur une chaise. - Dans deux jours, je serai à Paris; allons, fit-il, tout est bien fini; comme un raz de marée, les vagues de la médiocrité humaine montent jusqu'au ciel et elles vont engloutir le refuge dont j'ouvre, malgré moi, les digues. Ah le courage me fait défaut et le coeur me lève! - Seigneur, prenez pitié du chrétien qui doute, de l'incrédule qui voudrait croire, du forçat de la vie qui s'embarque seul, dans la nuit, sous un firmament que n'éclairent plus les consolants fanaux du vieil espoir!
Pianoté par Anabates in Au fil des pages | Permalink